Très peu de personnes connaissent la totalité de mon histoire. Pour le savoir, il faudrait lire l’intégralité de mes journaux mais ils ne sont pas si facilement accessibles que cela car dispersés à travers le monde. Si vous souhaitez connaître mon histoire, voici certains extraits qui devraient vous intéresser.
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[…] La Grèce, terre natale de mes ancêtres mais qui ne sera jamais, Ô grand jamais, la mienne, ni celle de mon frère ; Nos parents ayant choisi de faire partis de la colonisation des Aztèques aux côtés du grand Hernán Cortés au tout début des années 1500. Un petit groupe d'aventuriers et navigateurs venant de Psará en Grèce avaient entrepris un voyage jusqu'aux Amériques afin de conquérir plus de territoire aux côtés des Espagnols. C'est ainsi que nos parents furent enrôlés dans le conflit jusqu'au centre de l'actuel Mexique. C'est en 1521 que la chute de l'empire Mayas fut officielle et finalement mon frère Alessandro et moi sommes nés en 1522, une dizaine de mois plus tard. Des jumeaux qui ont ravis nos parents, malgré les difficultés liées à leur colonisation. Ils désiraient profondément avoir des enfants et que nous les avons comblés. [...]
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[…] Avoir un jumeau est une chance que je chérirais chaque jour que le dieu du Soleil, Apollon, me donnera sur cette Terre. Il est un prolongement de mon être et j'ai pour lui un amour inconditionnel et fraternel à tout jamais. Nous avons toujours été là l'un pour l'autre et je sais que je ne peux pas vivre sans lui. En grandissant, il a choisi la voie des arts comme notre mère quand j'ai choisi la voie maritime comme notre père. Cela n’en fait pas un moins bon navigateur que moi pour autant tout comme j’aime l’art des lettres depuis toute petite. Nous nous ressemblons et que nous nous aimons infiniment. […]
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[…] Qui aurait cru que finalement notre père serait plus intransigeant qu’un homme lambda. J’avais toujours pensé qu’il m’acceptait telle que j’étais mais j’étais loin de m’imaginer ses manigances pour me clouer sur la terre ferme tout en essayant d’intégrer notre famille vivant dorénavant sur les terres mexicaines. Du haut de mes dix-sept printemps, il m’a promis à un agriculteur local afin d’acquérir une certaine protection de la gente locale. En effet, depuis l’investiture des occidentaux en nouvelle Amérique du Sud, ces soldats et aventuriers qu’étaient nos parents étaient devenus des conquérants et des envahisseurs, s’attirant alors les foudres des anciens mayas et de leur descendance… Désormais, je serais mariée à tout jamais à l’un d’eux… Adieu rêve d’aventures et de navigation… […]
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[…] La nuit est froide, mon époux violent et ivrogne n’est pas rentré. Je tente tant bien que mal de jouer mon rôle de nouvelle épouse dévouée mais le fait est que la vie, ma vie, n’est pas celle que je m’étais imaginée. Mère est décédée d’une maladie mystérieuse, quand certains ne diront pas tout haut qu’elle a été empoisonnée. Ces derniers temps, les autochtones sont plus féroces, plus dures, plus intransigeant envers nous pourtant cela fait près de vingt-six ans que nos parents ont vaincus, et vingt-cinq ans que nous sommes nés en ces lieux. Pour mon frère et moi, le Mexique est notre terre même si nos origines sont ailleurs… […]
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[…] Mourir est peut-être une douce délivrance mais j’avais espéré avoir une vie bien plus fournie et plus vécue. Avoir une famille est une pensée qui m’arrache une larme alors que mon corps immobile heurte le sol glacé. Revoir mon frère est un désir qui m’arrache un cri aussitôt bouché par une main se posant sur mes lèvres. Partir à l’aventure est un murmure caché derrière un regard terrifié alors que l’on m’arrache mes vêtements avec force et vigueur. Peut-être finalement la mort serait une douce délivrance à cette épreuve qui s’impose alors à moi par cette nuit glacée où j’avais voulu retrouver mon époux à la taverne du village afin de le ramener chez nous. Peut-être finalement mon caractère d’aventurière m’a fait défaut lorsqu’il s’est vanté de ma beauté auprès de ses comparses alors que je lui demandais avec douceur d’arrêter de boire. Peut-être ma bonté eut raison de moi lorsqu’il me gifla pour mon indocilité. Le giflant à mon tour, j’avais alors quitté les lieux pour le laisser cuver son hydromel tout seul alors que je retournais en direction de la maison. Ignorant les aboiements nocturnes des chiens angoissés, j’avais tout de même accéléré le pas lorsque je ne me sentais plus vraiment seule dans les ruelles sombres. Le doux murmure qui arriva à mes oreilles me donna un frisson tel qu’il me figea lorsque je croisais ses yeux dorés et semblable aux serpents. « Tel est le prix de la vengeance. » m’avait dit cette voix rauque et horrifique alors que la seconde suivante ses crocs se plantaient dans mon cou m’irradiant d’une douleur démesurée… Ce soir-là, je ne suis plus jamais rentrée chez moi. […]
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[…] La douleur aurait dû s’arrêter là mais elle a continué sans relâche pendant de longues minutes qui sont devenues des heures. Je n’avais pas forcément prêté attention mais j’avais été transportée puis déposée dans une demeure qui n’était pas la mienne. A mon réveil, je me sentais engourdie mais surtout affamée. Je croisais alors le regard d’un homme qui semblait tout aussi terrifiant que séduisant. Il me confirma rapidement qu’il m’avait emmené dans sa maison et que j’étais sa prisonnière. Je l’écoutais mais je ne retrouvais surtout obsédée par une seule pensée : me nourrir. Remarquant mon mal-être, l’homme me présenta une femme inconsciente. Je la reconnus aussitôt puisqu’il s’agissait d’une de mes voisines, une coloniale comme ma famille. Alors que mes sourcils se fronçaient sans comprendre le pouvoir de cette action, il me tendit le bras de ma voisine et la coupa sur quelques centimètres. Je ne cherchais pas à comprendre les raisons et n’écoutais que les pulsions sauvages qui m’envahissaient en m’emparant alors du bras pour y planter mes … mes crocs. […]
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[…] Plusieurs semaines viennent de s’écouler et l’homme qui m’a agressé s’est enfin présenté à moi. Il s’appelle Yoali. C’est un natif des Aztèques et son prénom signifie « nuit ». Je n’ai pas vraiment compris sur l’instant mais au fur et à mesure de ses révélations, je réalisais que je n’étais pas la seule jeune femme agressée et que d’autres avaient été enlevée ou empoissonnées avant moi. Mais selon ses dires, j’avais quelque chose de différents. Outre le fait que j’avais pour lui un immense respect dès lors qu’il m’apportait à manger – c’est-à-dire des corps d’hommes et de femmes encore chauds – j’avais également une profonde rancœur de me maintenir prisonnière. Mon frère devait être mort d’inquiétude, s’il n’avait pas déjà supposé que j’étais décédée, tant les disparitions des coloniaux étaient de plus en plus fréquentes dans notre village. Je l’ai compris au fur et à mesure des cadavres que je semais, je n’étais plus vraiment humaine, j’étais une Culebras. […]
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[…] Yoali devient de plus en plus proche et même si je me rebelle afin qu’il ne me touche pas, je ne peux pas vraiment l’en empêcher dans le sens où je suis maintenue la plupart du temps. Ma force s’est décuplée mais je ne parviens pas pour autant à me défaire de mes liens. Je le supplie de revoir mon frère mais il refuse toutes mes requêtes me laissant pantoise de chagrin alors que j’ai maintenant disparu depuis plusieurs mois. Il est plus doux et moins nauséabonde que mon idiot de mari. […]
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[…] Malgré toute la douleur ressentie d’être devenue un monstre sans âme, à la ressemblance des serpents, je ne peux nier l’évidence des sentiments que j’éprouve pour mon créateur. Si bien que lorsqu’il me propose de quitter le Mexique pour l’Amérique du Nord, je le suis sans état d’âme et sans réfléchir à ma vie humaine. Mon frère me manque terriblement, il est un vide dans mon cœur mais l’approcher serait signer son arrêt de mort tant le contrôle du sang est difficile pour moi. Même si la calèche s’éloigne de mon village où j’ai grandi et où j’ai été séquestrée pendant près d’un an, mon cœur appartient à Yoali alors que mon âme est partie joindre Alessandro. […]
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[…] Ce soir, j’ai été trompée, j’ai été trahie, j’ai été dupée. Après plus de six années à voyager, à parcourir le monde, à défier les lois de la nature humaine, je viens de surprendre Yoali dans la couche d’une autre femme Culebras comme nous. Les larmes qui coulaient sur mes joues n’étaient en rien à l’image de la douleur ressentie dans mon cœur brisé. N’écoutant pas les suppliques de mon créateur qui me demander de rester à ses côtés, j’avais rapidement fais mes valises pour repartir vers la seule terre que je connaissais, celle qui m’avait vu naître : le Mexique. […]
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[…] J'erre sur cette planète où je ne me sens plus à ma place et pourtant je suis revenue vers le Mexique, vers mon frère, vers ma chair et mon sang. Il est la seule famille qu'il me reste et qu'importe le prix, qu'importe les jugements, qu'importe les manipulations subies par le passé, je ne veux que lui dans ma vie maintenant. Revenant alors dans mon village natal de nuit, je retrouve rapidement mon ancienne maison, dorénavant habitée par des inconnus. Je retrouve également la trace d'Alessandro mais alors que je l'aperçois enfin après des jours, des semaines et même des années d'attente, je le retrouve affaiblie. Il semble malade, il semble être plus proche de la mort que je ne le serais jamais. Il a vieilli et je suis plus que désolée de le voir ainsi. Tapis dans l'ombre, je l'observe ainsi durant de longues heures qui se transforment en quelques jours. Je n'ose pas lui parler, je n'ose pas entrer à nouveau dans sa vie. Autant j'étais déterminée dès lors que j'avais quitté Yoali, autant désormais je suis la petite sœur penaude qui pense qu'elle ferait peut-être une bêtise en revenant dans sa vie. […]
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[…] Tout changea un soir alors que je suivais Aless qui rentrait chez lui après une journée de travail. Il semblait plus épuisé que d'habitude, plus enclin à se laisser sombrer… Alors c'est là que j'ai pris cette décision. La décision qui changera à jamais mon existence et la sienne. Avant qu'il n'entre dans sa demeure qui n'appartenait qu'à lui et à sa famille, je me présentais face à lui. Il pensait voir un fantôme mais au lieu de cela il a vu la mort. Je l'ai pris dans mes bras, j'ai pleuré et alors même qu'il m'enlaçait à son tour, je plantais mes crocs dans son cou, déversant en lui le venin qui ferait de lui un être immortel tout comme moi. […]
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[…] Après son évanouissement, je l'ai extirpé du village pour l'emmener loin de toute civilisation afin de pouvoir lui expliquer ce que je venais de lui imposer sans même lui demander. Si moi-même j'avais encore du mal à m'accepter telle que j'étais, je me détestais déjà d'avoir fait la même chose à mon frère. Et pourtant, le mal était fait, il était désormais un Culebras comme moi. Expliquer mon geste m'était impossible autrement qu'en disant "je ne me voyais vivre dans un monde où tu n'existes pas". Comment le dire autrement ? Mon geste était purement et simplement égoïste et je ne méritais pas son pardon, d'autant plus que je ne me pardonnais pas moi-même. La colère que je pouvais lire constamment sur son visage me faisait lentement mais sûrement sombrer dans une profonde dépression, néanmoins il était à mes côtés pour l'éternité...
Ou pas … Alessandro me quitta quelques temps après sa transformation. Il me détestait pour ce que j'avais pu lui faire. Il ne supportait pas l'idée d'être ainsi par ma faute. Alors je l'avais laissé partir, à regret de savoir que peut-être nos chemins ne se croiseraient plus jamais. […]
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[…] Les jours sont devenus des mois, les mois sont devenus des décennies sans que je n'ai de nouvelles de mon tendre frère. Jusqu'à un jour où il a repris contact avec moi. Sans effusion de sentiments, nous nous sommes revus et nous avons gardé le contact sans vraiment retrouver la relation qui me manquait tant. Certes mon frère m'adressait la parole mais c'était comme s'il ne le faisait pas au final tant sa colère envers moi était encore palpable. De mon côté, je tente de faire ma place dans ce nouveau monde plus moderne, plus électronique, plus médiatisé. Continuant d'écrire mes journaux comme je l’avais toujours fait, j’ai également continué à envoyer régulièrement des lettres, des mails ou des messages sms à mon frère. Ma vie était devenue bien trop fade sans lui à mes côtés et lorsque je me suis retrouvée ici à El Rey, cela ne s’est pas arrangé. Moi qui pensais qu’ouvrir mon garage et tenter de me reconstruire allait m’aider. Il n’en fut rien hormis cette noirceur grandissante qui s’imposa à moi telle une douce amie retenu bien trop longtemps. La mort me souriait, m’appelant, me suppliant … Un dernier message à mon frère et je disparaîtrais de ce monde. Ceci était sans doute mon dernier écrit.
Peut-être pas...
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